Alors que les expérimentations se multiplient en Europe afin d’améliorer la mixité sociale et d’origine dans les collèges, la Métropole de Lyon reste à la traîne. Véronique Moreira, vice-présidente de la Métropole en charge de l’éducation, a pourtant annoncé un plan de 300 millions d’euros pour la construction et la réhabilitation de collèges, mais semble craindre une fuite des élèves vers le privé si elle prenait des initiatives allant dans le sens d’une plus grande mixité. Une enquête de Julia Blachon, illustrée par Sandrine Deloffre.
« Dans les collèges de Vénissieux, il n’y a pas un seul blanc », regrette avec une pointe d’exagération Farid Ben Moussa, secrétaire de l’association No Ghetto, qui milite depuis plusieurs années en faveur de la mixité sociale dans les collèges. À Vénissieux, l’ouverture d’un nouveau collège, prévue pour 2025, fait débat. L’établissement qui accueillera le surplus d’effectif du collège de Saint-Fons, mais aussi des élèves du secteur d’Aulagne et Péri à Vénissieux, répond aux besoins d’une population scolaire croissante. « Il fallait absolument que nous ayons un deuxième collège de qualité », est convaincu Christian Duchêne, le maire de Saint-Fons. « On a gagné 10% de la population en un mandat. La proportion de jeune a elle aussi fortement augmenté dans la commune. Il faut les scolariser dans les meilleures conditions. »
Selon le collectif No Ghetto, cependant, ce nouveau collège ne fera qu’accroître les inégalités et ne favorisera pas la mixité sociale. « Les habitants qui vivent à côté du nouveau collège sont issus de classes sociales défavorisées », constate Farid Ben Moussa. « Logiquement, ce sont leurs enfants pauvres avec des difficultés qui vont y être scolarisés. Je ne vois pas comment des élèves venus de quartiers favorisés pourraient avoir envie de s’y inscrire. »
Option « cirque » : élitisme ou « foutage de gueule » ?
Pour Pierre-Alain Millet, adjoint au logement de la Ville de Vénissieux et conseiller métropolitain (PCF), l’amélioration de la mixité sociale dans les collèges passe au contraire par un renouvellement de l’urbanisation : « Je ne comprends pas ce discours qui laisse penser que, pour réussir, il faut s’éloigner de ses origines. C’est un discours réac ! D’autant plus qu’à Vénissieux, il y a de nombreux jeunes issus de quartiers populaires qui réussissent dans la vie. Pour favoriser la mixité, il faut d’abord donner les moyens aux familles populaires de réussir. Cela passe par de l’emploi, des salaires, mais aussi une nouvelle urbanisation de la ville, et notamment la construction d’un nouveau collège. »
La Métropole espère attirer un nouveau public d’élèves, entre autres grâce à l’option « cirque » qui devrait y voir le jour. « Avec l’École nationale des arts du cirque qui va s’installer au Grand Parilly, cela permettrait de renforcer les “soft skills” des élèves », défend Véronique Moreira. « Cette option très appréciée, voire élitiste, déboucherait sur de nombreux emplois. » De quoi laisser pantois les membres de l’association No Ghetto : « C’est un peu du foutage de gueule, surtout quand je vois l’option informatique dans d’autres collèges, par exemple », assène Farid Ben Moussa. Pour l’instant, Véronique Moreira tient à rappeler que l’option « cirque » n’est qu’un souhait de la Métropole ; la décision des options relève de l’Éducation nationale.
Youssef Souidi, doctorant à l’École d’économie de Paris et coauteur d’un rapport de recherche intitulé Renforcer la mixité sociale au collège : une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris, n’est pas convaincu par les mesures annoncées par la Métropole. Interrogé par L’Arrière-Cour, il préconise d’autres méthodes pour favoriser la mixité sociale dans les collèges, à l’image des expérimentations menées à Paris et Toulouse.
« Si l’on veut créer de la mixité sociale et d’origine dans les collèges, il est préférable ‘d’envoyer’ des enfants issus de quartiers défavorisés étudier dans des quartiers favorisés. Le contraire est généralement moins efficace. » Selon lui, la mixité sociale est essentielle pour la réussite scolaire des enfants et doit s’instaurer dès le plus jeune âge : « Elle permet tout d’abord une meilleure réussite scolaire, mais aussi une certaine ouverture d’esprit, entraînant moins de stéréotypes et de préjugés. De plus, la mixité serait bénéfique pour l’orientation professionnelle des enfants. En effet, les parents d’élèves issus de milieux défavorisés ont souvent la même profession. Échanger et discuter avec d’autres élèves permettrait donc à l’enfant de découvrir un spectre plus large des métiers possibles. »
Afin d’améliorer la mixité sociale dans les collèges, certaines villes comme Paris et Toulouse ont donc mené des expérimentations. « À Toulouse, il y avait un collège très défavorisé, à l’image de celui de Vénissieux. La mairie a donc décidé de le fermer. Les élèves de ce collège ont été dispersés, par groupes de deux ou trois, dans d’autres collèges du centre-ville, avec, à la clé, un vrai renforcement de la mixité sociale. Bien sûr, pour que cette expérience fonctionne, la Ville de Toulouse a amplifié son réseau de transport en commun. » En menant cette expérience, Toulouse craignait une « fuite » des élèves les plus favorisés vers des établissements privés. Mais les résultats se sont révélés plutôt positifs : « Si cela a fonctionné, c’est parce que les élèves ont été dispersés par petits groupes. Pour moi, c’est vraiment la clé. Il ne faut surtout pas faire migrer un collège entier vers un autre établissement. »
La Ville de Paris a quant à elle adopté deux stratégies. La première se nomme la « montée alternée ». Il s’agit de regrouper tous les élèves d’un même niveau de deux collèges différents dans un même établissement. Par exemple, en 2017, l’ensemble des sixièmes ont fait leur rentrée au collège Coysevox (dans un quartier favorisé) et l’année suivante dans le collège Berlioz (dans un quartier défavorisé). « Ce système a permis peu à peu de mélanger les classes sociales des deux collèges », souligne Youssef Souidi. Et, in fine, de retrouver une mixité sociale proche de celle du secteur. « Nous n’avons pas encore pu évaluer le taux de réussite scolaire, cependant, puisque les élèves de sixième de 2017 viennent tout juste de passer leur brevet. » Une option qui serait tout à fait applicable à Lyon en raison de son réseau de transport performant, estime le collectif No Ghetto.
La deuxième expérimentation est celle du « choix régulé », dans lequel un algorithme utilise les quotients familiaux des ménages. À partir du vœu des familles et de l’algorithme en question, les élèves sont répartis dans différents collèges afin de retrouver une composition sociale plutôt équilibrée. « Contrairement à la première, cette méthode n’a pas franchement fonctionné puisqu’elle dépendait de la réponse des familles sur leurs revenus, parfois erronée », précise le doctorant.
Expériences internationales : la question de la proximité
À l’étranger, certains pays vont plus loin encore, si l’on en croit un rapport international cosigné par le Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) français et le Conseil supérieur de l’éducation du Québec. Dans le Massachussetts (États-Unis), par exemple, la carte scolaire n’existe pas. Lors de l’inscription des enfants, les parents doivent indiquer un ordre de préférence parmi plusieurs écoles. L’autorité locale en charge de l’éducation s’assure de la diversité sociale dans les établissements. Aucune école ne doit dépasser de plus de 15% la moyenne du canton sur le taux d’élèves défavorisés parmi sa population.
L’expérience a plutôt bien fonctionné puisque seulement deux écoles s’écartaient de plus de 15% de la moyenne d’élèves défavorisés. « Une fuite des parents vers des communes limitrophes ou vers l’enseignement privé était annoncée », avance le Cnesco dans son rapport. « Au contraire, la fuite n’a pas eu lieu et le taux d’enfants scolarisés dans les écoles publiques a augmenté par rapport à celui des écoles privées. »
La Belgique, historiquement marquée par un choix totalement libre de l’école par les parents, a elle aussi mis en place un contrôle des inscriptions afin de mieux équilibrer socialement les établissements.
Ces mesures, bien qu’efficaces, posent tout de même un problème de « proximité » : « La difficulté vient du fait de concilier le choix des parents et la volonté de créer de la mixité dans les collèges », analyse Youssef Souidi. « Des études ont montré que des parents issus de collèges défavorisés continuaient d’inscrire leurs enfants dans des collèges défavorisés, même en ayant le choix. »
Illégal, l’indice de mixité sociale ?
À Lyon, malgré des résultats plutôt positifs des villes ou pays voisins, la politique de la Métropole reste timide, voire inexistante. Véronique Moreira, qui s’était d’ailleurs engagée dans l’émission Les Coulisses du Grand Lyon à créer un « indice de mixité sociale et d’origine », a fait machine arrière lors d’un entretien accordé à L’Arrière-Cour : « Nous ne mettrons pas en place un indicateur de mixité sociale, tout simplement parce que ce n’est pas légal. Cela pose des problèmes éthiques et juridiques. Si cela avait été possible, bien sûr que nous y aurions réfléchi. »
« Ce sont les statistiques ethniques qui sont légalement interdites. Mais on peut tout à fait baser un indice sur le lieu de naissance des parents ou des grands-parents par exemple » répond Farid Ben Moussa. « D’ailleurs de nombreux instituts nationaux comme l’Insee le font déjà !» Pierre Obrecht, l’un des membres de l’association No Ghetto, défend « la création d’un indice au niveau national », mais se satisferait déjà de l’utilisation des indices existants de ségrégation sociale pour mesurer l’impact des politiques menées par la Métropole.
Autre « engagement » de Véronique Moreira pour lutter contre la mixité sociale : la réévaluation de la carte scolaire lyonnaise d’ici à la fin de son mandat, en 2026. « La refonte d’une carte scolaire est un processus qui prend du temps », défend-elle. « Nous devons tenir compte de la possible “fuite” de collégiens vers le secteur privé, mais aussi des questions de proximité et des transports. » Des craintes injustifiées selon Youssef Souidi : « Le bilan de l’expérimentation de la “montée alternée” à Paris a été plutôt positif, puisque la “fuite” des élèves vers les établissements privés n’a pas augmenté. Pour le transport, il est évident qu’il faut prévoir un réseau de bus suffisant. La Ville de Toulouse avait doublé son réseau de transport en commun pour l’occasion. »
Le collectif No Ghetto et Véronique Moreira se sont entretenus ce jeudi 7 octobre afin de chercher des points de convergence. En vain. « C’était que du vent, elle est revenue sur tout ce qu’elle avait promis », fustige Farid Ben Moussa. Il retient malgré tout la promesse de l’ouverture d’une « concertation avec les parents d’élèves pour définir une nouvelle carte scolaire ». Et « attend de voir » si cette concertation témoigne d’une réelle ambition de la Métropole en matière de mixité.
Julia Blachon